Des ados, une religieuse, un triporteur… Dans les pas d’un tournage hors norme à Saint-Brieuc

Au gré des balades en triporteur proposées par les bénévoles de l’association Les Vagabonheurs, dans les quartiers de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), les personnes âgées se racontent et égrènent leurs souvenirs. Des dizaines d’histoires de vie. Une d’entre elles fait l’objet d’un court-métrage. Pendant une vingtaine d’années, une religieuse, sœur Régine, devenue malvoyante, a vécu dans une tour de la Croix-Saint-Lambert. Elle remonte le temps avec deux adolescentes du quartier.

Au milieu du quartier de la Croix-Saint-Lambert, à Saint-Brieuc, sœur Régine, à bord du triporteur piloté par Alain Séradin, redécouvre l’endroit où elle a vécu. Les ados Lily et Shayna participent au tournage, sous l’œil du réalisateur Hervé Drezen.
Au milieu du quartier de la Croix-Saint-Lambert, à Saint-Brieuc, sœur Régine, à bord du triporteur piloté par Alain Séradin, redécouvre l’endroit où elle a vécu. Les ados Lily et Shayna participent au tournage, sous l’œil du réalisateur Hervé Drezen. | OUEST-FRANCE

Ouest-France

Soizic QUÉRO. Publié le 11/05/2024 à 07h15

Dans le sillage des roues des triporteurs des Vagabonheurs, ces bénévoles bienveillants qui proposent des balades aux résidents des Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), des phrases, des souvenirs, des tranches de vie s’égrènent… « Les témoignages des personnes âgées, que nous transportons, donnent de belles histoires. Nous avions envie de les partager », lance Alain Séradin, pierre angulaire de l’association, qui fédère aujourd’hui une trentaine de bénévoles, au pilotage de trois triporteurs. En 2022, une première page s’était déjà écrite « avec Patrice Verdure, créateur de la web télé locale TéléGouët, au port du Légué ». Un reportage de près de trois minutes.

Alain Séradin, bénévole des Vagabonheurs, aide sœur Régine, aujourd’hui malvoyante, en lui décrivant les archives projetées. | OUEST-FRANCE

Une religieuse ancrée dans un quartier

Après ce galop d’essai, l’ambition était toujours là. « Nous voulions poursuivre, confirme Alain Séradin. On a échangé avec l’association Le Cercle et on a imaginé autre chose. » C’est l’une des graines du projet qui associe une religieuse, Régine Pointier, laquelle réside aujourd’hui à l’Ehpad L’Ermitage Saint-Joseph, dans le quartier de Cesson. « J’ai vécu une vingtaine d’années dans une tour de la Croix-Saint-Lambert », rembobine sœur Régine, devenue malvoyante il y a quelques années. 

La Briochine de 87 ans, ancienne institutrice à l’école de la Providence, a été une figure du quartier. Deux adolescentes, Shayna, 11 ans, et Lily, 13 ans, qui fréquentent le centre social La Puce à l’oreille, se sont greffées au tournage, qui s’est déroulé dans les locaux de l’association d’éducation populaire Le Cercle, au cœur du quartier prioritaire. Avec l’aide de Jean-Baptiste Delgrange, animateur culturel au Cercle ; Gaspard Jacques, technicien vidéo en service civique, et Hervé Drezen, réalisateur. Un court-métrage d’une douzaine de minutes doit voir le jour.

Des portrait(s) de quartiers par les habitants

Ce projet est également relié à « Portrait(s) de ville », démarche regroupant la Ville de Saint-Brieuc et différentes associations, dont le but est de « faire vivre à des publics distincts, jeunes et personnes âgées, une expérience collective, créative, pédagogique et intergénérationnelle », détaillent Olivier Sauvy, journaliste, et Valérie Boulanger-Raichman, sociologue, rattachés à l’expérimentation via le Club de la presse Bretagne. En clair, jeunes et seniors racontent leur quartier à partir de différents supports, notamment des images d’archives, et se retrouvent devant les caméras.

Lire aussi : Des triporteurs, de la bonne humeur et les joyeux projets des Vagabonheurs à Saint-Brieuc

Sœur Régine et Alain Séradin, de l’association Les Vagabonheurs, en plein tournage dans les locaux du Cercle. Ils sont devant une photo du carnaval qui se déroule au pied des tours de la Croix-Saint-Lambert. | OUEST-FRANCE
Le réalisateur Hervé Drezen filme le duo, en pleine conversation. | OUEST-FRANCE

Sur le canapé gris, se retrouvent justement sœur Régine et Alain Séradin. Derrière, Shayna, Lily et Yolande Manach, une habitante du quartier qui aide la religieuse à dérouler ses souvenirs devant les photos projetées. Si elle ne voit plus, elle prête attention au moindre mot. Petit ajustement lumière, micro-cravate… Ça tourne. Ses voisins lui décrivent les images.

« J’étais un peu leur grand-mère ! »

Sœur Régine apparaît. Plus jeune, entourée d’ados, dans son appartement. « Je voulais vivre avec les gens et pas à côté », lâche l’octogénaire, qui retrouve les prénoms de ses petits protégés. Les lettres qu’elle a adressées à sa hiérarchie, à la communauté de la Providence, sont reproduites. « Vivre au milieu des plus pauvres du quartier et leur témoigner de l’espérance qui m’habite », avait-elle écrit, avec élégance, de sa main.

Alain Séradin, bénévole des Vagabonheurs, pilote le triporteur où a pris place sœur Régine, dans le quartier de la Croix Saint-Lambert, avec Lily et Shayna. | OUEST-FRANCE

« J’aimais mon quartier, tu vois », restitue celle qui y a posé ses valises en 1976. L’ancienne enseignante, qui privilégiait les gommettes aux notes pour encourager les efforts personnels, aidait les élèves à faire leurs devoirs, après la classe et pendant les vacances, chez elle. Il y a aussi eu les goûters, les rires… « Les jeunes venaient discuter. J’étais un peu leur grand-mère ! » Des précieux liens se sont tissés. « Tiens, celui-ci est venu me présenter son bébé », rapporte sœur Régine, dans son gilet fuchsia. « Son engagement était incroyable », estime Alain Séradin. Elle a été une cheville ouvrière du comité de quartier en relançant le réseau d’échanges de savoirs en 1992. « C’est le plus important de ma vie quand même », ponctue-t-elle. « C’était quoi ce réseau ? », lui demande Alain Séradin, en posant délicatement sa main sur son bras.

« J’apprends quelque chose, je donne »

« On partait du principe que toute personne a des savoirs, quels que soient sa formation, son niveau intellectuel…, répond la religieuse avec vivacité. Le réseau mettait en relation les offreurs et les demandeurs. Tricot, anglais, breton, cuisine, guitare, pêche à pied, guitare, informatique, petit bricolage… J’apprends quelque chose, je donne. J’ai appris à me servir d’un ordinateur. » L’aventure continue aujourd’hui avec 82 adhérents. « Les gens venaient du quartier, mais aussi de Trégueux, Langueux, Yffiniac… C’était comme la place d’un bourg, à la campagne, illustre-t-elle. Le réseau mettait en lien et permettait de nouvelles relations fraternelles formidables. »

Lire aussi : Saint-Brieuc. Ce qu’a changé la démolition des tours à la Croix-Saint-Lambert

Les cinq tours de la Croix-Saint-Lambert ont disparu du paysage entre 2012 et 2013. | OUEST-FRANCE

Devant un reportage de France 3  montrant la démolition des cinq tours de la Croix-Saint-Lambert entre 2012 et 2013, la mémoire de la religieuse revient, même si elle dit qu’elle l’a perdue. « En 2019, j’ai subi une opération et j’ai eu un traitement très fort. J’ai oublié des choses », continue-t-elle,pourtant « heureuse » d’évoquer cette période de sa vie. Les tours aux quatre saisons, le carnaval… « Je trouvais que les appartements étaient grands, lumineux. C’était chouette », décrit sœur Régine, qui a emménagé, peu avant la disparition des immeubles, dans un logement rue Victor-Segalen, toujours dans le quartier. « Étage par étage, je voyais ma tour, la numéro 2, fondre de ma salle à manger. J’ai vu les autres s’effacer une par une, en zigzag. C’était dur. J’en ai pleuré. »

Une des images captées pour le petit film, devant le centre commercial de la Croix-Saint-Lambert. | OUEST-FRANCE
En déambulant, Shayna (deuxième à partir de la gauche) se rend compte qu’elle habite aujourd’hui dans l’appartement… où a vécu sœur Régine. | OUEST-FRANCE

« C’était bien d’entendre son histoire », considère Shayna, avant de suivre la balade en triporteur au milieu du quartier. Le matin, il y a eu un passage à la ferme de la Ville-Oger. « Là, c’est le centre commercial », dépeint Alain Séradin, qui avance vers l’emplacement des anciennes tours. « Je crois que j’ai dit le principal, conclut naturellement sœur Régine. L’idée était que les gens ne restent pas repliés sur eux-mêmes. Le quartier n’était pas un ghetto. » En déambulant, Shayna, qui a joué à l’intervieweuse avec sa mère pour le petit film, se rend compte qu’elle habite aujourd’hui dans l’appartement… où a vécu sœur Régine.

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